
Il y a les gestes du tailleur de pierres, son travail patient, laborieux et humble auquel répond la quiétude d’une salle de prière, dans une mosquée de Bosnie, dans la partie serbe du pays. Progressivement Florence Lazar dé-couvre l’histoire en nous révélant ses personnages, musulmans, chrétiens orthodoxes, des deux côtés de la frontière culturelle, religieuse qui lacère le pays. Nécessairement les informations manquent mais, lourde comme les pierres, la tragédie emplit progressivement le film.
Le temps se décompose. Temps du mythe, le Moyen-Age, «âge d’or du peuple serbe» fantasmé ; temps de la Yougoslavie ; temps de la guerre, de 1992 à 1995 : la guerre de Bosnie. La population musulmane est décimée. Génocide. Enfin il y a le temps présent et le rapport qu’il entretient avec l’histoire, la manière dont on la matérialise. Ici la mémoire est sélective, détournée, manipulée. Les vestiges sont détruits, les pierres sont retaillées, déplacées. La guerre se poursuit, le passé est réinventé, la population serbe s’approprie l’histoire, les bosniaques musulmans en sont dépossédés. Mensonge. Oubli.
La force du film réside dans la précision du regard de la réalisatrice, également photographe. Jaillit de ces images attentives aux détails une beauté sinistre, celle des pierres retaillées, touchées et déplacées avec delicatesse. Beauté trompeuse, maquillage, décor de cinéma, faire du passé un spectacle, détourner l’attention. Ici les apparences de la reconstruction tentent de tromper l’histoire mais la mort hante les pierres.