Montage de souvenirs, démontage d’un voyage
On s’émerveille de la richesse des couleurs et des musiques, des rituels qu’elles évoquent et des paysages qui s’y construisent, par intermittence ou bien par sonorités imprévisibles. Chantier A fait plus que raconter un voyage, il le déplie, et tout en l’ouvrant le dévoile ; comme l’enfant de la Morale du joujou de Baudelaire, il démonte son jouet pour en voir l’âme.
L’histoire du retour en Algérie de Karim, qui a vécu en France pendant dix ans, est l’élan narratif pour découvrir son pays d’origine et littéralement s’y égarer, dans un jeu d’aller-retour où l’exploration des limites nationales répond à une redéfinition parallèle, celle des frontières intimes du personnage. Les cinéastes Tarek Sami, Lucie Dèche et Karim Loualiche, ce dernier étant aussi dans l’image, se frayent un chemin à travers l’Algérie, ce pays qui se constitue par bribes d’espaces et de souvenirs et qui par ce biais franchit ses propres limites géographiques. Où commencent et où finissent les frontières de l’Algérie ? Elles prolongent la perte de repères du peuple algérien et du réalisateur qui se met en scène. Karim est un corps réversible, ses origines se heurtent aux regards de ceux qui ne sont jamais partis, sa caméra se retourne contre lui et contre son projet en entier, celui de chercher à reconstituer, par le biais de l’image, une appartenance.
Le jouet est désarticulé : Chantier A nous révèle le hors-champ, celui de l’histoire en sourdine de l’Algérie, du documentaire qui fusionne avec la fiction, de l’impossibilité d’un retour qui implique toujours son négatif, un départ impossible.
